Nous vous proposons une balade en Normandie, plus précisément dans le Cotentin :
Vous pourriez vous arrêter à Saint-Fromond (Manche), petite commune à mi-chemin entre Saint-Lô et Carentan, dans le Parc Naturel Régional des marais du Cotentin et du Bessin (idéal pour les amateurs de nature), et qui possède une belle église
Mais si la Lettre d’Information de Stalles de Picardie évoque cette commune, c’est bien sûr parce que cette église abrite un ensemble de stalles de la fin du Moyen Âge : 34 stalles ont été conservées et meublent actuellement le chœur de cette église, ancienne abbatiale bénédictine.
Elles sont réparties en rangées de stalles hautes et basses de part et d’autre du chœur
mais cet aménagement est relativement récent : elles étaient pourvues de hauts dossiers, qui ont été supprimés mais dont les traces sur les accotoirs sont encore visibles ; certaines jouées basses qui terminaient les rangées ont également disparu ; le plan de l’ensemble ne correspond pas à la disposition d’origine (l’arrondi à l’extrémité orientale est un remontage moderne).
Malgré ces mutilations, elles présentent un intérêt certain. La date de leur construction n’est pas connue, mais on les date généralement de la fin du xve siècle. On remarque cependant que certaines jouées sont ornées de remplages gothiques, alors que d’autres montrent une décoration tout à fait Renaissance.
Y aurait-il eu une construction s’échelonnant sur plusieurs années, faite par des artisans différents ? Ou sommes-nous en présence d’un ensemble qui, à une époque indéterminée, a absorbé des éléments provenant d’un autre ensemble, d’une autre église ? Des analyses du bois permettraient peut-être d’étoffer les hypothèses.
Mais cela ne doit pas nous empêcher d’admirer miséricordes et appuis-main dont l’iconographie est variée. La majorité des miséricordes est ornée de feuilles (faciles et rapides à sculpter, donc moins onéreuses que des scènes complexes), mais les feuilles sont toutes différentes les unes des autres.
On reconnait parfois l’espèce représentée, une feuille de chêne par exemple, accompagnée d’un gland, mais il peut aussi s’agir de créations des artisans qui s’amusent à denteler les bords d’une feuille, à en accentuer les nervures, pour varier le décor.
De nombreux monstres sont présents, pas très effrayants à vrai dire ! Comme ce gros oiseau qui évoque le coq par l’avant du corps et la tête, mais dont la queue semble lisse et ressemble aux ornements appelés « cuirs », très répandus à la Renaissance.
C’est surtout sur les appuis-main (malheureusement parfois usés ou mutilés) que se rencontrent ces animaux monstrueux, comme celui-là dont le corps ressemble à celui d’un quadrupède mais n’a que deux pattes arrière
alors que cet autre a quatre pattes, mais également un bec et de petites oreilles pointues !
Les êtres humains ne sont pas absents de cet ensemble de stalles qui montre quelques visages ou bustes, sur les miséricordes aussi bien que sur les appuis-main. Un « portrait » de Louis XI
serait sculpté sur une miséricorde… L’homme porte en effet le même type de coiffure et de chevelure que le souverain, qui aurait fait venir à Plessis-lès-Tours (Indre-et-Loire) des huchers du Cotentin pour réaliser les stalles de l’église et des meubles pour son château. L’anecdote est plaisante, mais rien ne confirme cette hypothèse. De simples hommes et femmes ornent d’autres miséricordes, sans qu’on puisse dire s’il s’agit de personnes ayant réellement existé ou d’inventions des artistes qui n’ont pas oublié de faire figurer un fou identifiable par sa coiffe munie de deux larges oreilles et de grelots (ce n’est pas un être humain atteint de folie, mais un fou de cour, tel que les princes et seigneurs aimaient en avoir auprès d’eux : ces fous les amusaient, mais avaient aussi le droit d’exprimer des vérités parfois cruelles sur leur entourage !)
Mais que dire de cette miséricorde qui présente trois visages imbriqués les uns dans les autres avec leurs trois nez, mais quatre yeux… Fantaisie ? elle est presque plus effrayante que les monstres !
Comme toujours, les sculptures des stalles sont surprenantes, et parfois difficiles à comprendre…
Mais pourquoi y a-t-il des stalles dans cette église, aujourd’hui paroissiale ? Tout simplement parce que l’église faisait partie d’un prieuré bénédictin, fondé en 1021 et dépendant de l’abbaye de Cerisy-la-Forêt. Le lieu lui-même fut occupé dès le VIIe siècle par un monastère dont le premier abbé, Fromond de Coutances, devint évêque de Coutances. Il fut enterré dans l’église, qui fut pillée par les Vikings, reconstruite, victime d’un incendie au XVe siècle qui détruisit le chœur. Cette partie de l’édifice fut reconstruite en style gothique alors que la nef a gardé son style roman. C’est sans doute à l’occasion de cette restauration que l’ensemble de stalles actuel fut posé, dans les années 1490-1500 (aucune archive n’a été retrouvée à ce sujet).
L’église connut d’autres réaménagements au cours des siècles : elle fut divisée en deux parties, afin de permettre aux habitants du village de disposer d’une église, les travées occidentales de la nef étant destinées à la paroisse alors que les moines conservaient l’usage du chœur, du transept et de la première travée orientale de la nef, où se trouvaient les stalles. Mais en 1766, le nombre de moines était devenu très insuffisant pour entretenir une église de ces dimensions : la décision fut alors prise de détruire la nef, et d’attribuer la totalité de l’édifice à la paroisse. Les stalles devinrent alors gênantes et leur vente fut envisagée. Heureusement le vicaire, l’abbé de Marcambye, réussit à persuader les notables de les conserver, de les placer dans le chœur actuel « afin de donner des places convenables aux paroissiens honorables ». Cela a permis de les sauver, en partie du moins : elles ont souffert de leur déplacement et de leur réinstallation dans le chœur, perdant à ce moment-là leurs hauts dossiers et baldaquins, mais souffrirent encore plus lors du bombardement de 1944 qui éventra l’église : les stalles, atteintes par des éclats d’obus ou des chutes de pierre, restèrent ensuite sous la pluie tant que la toiture ne fut pas réparée.
Classées monument historique en avril 1905, elles ont pu bénéficier d’une restauration en 1975, qui leur a redonné un peu de leur lustre d’antan.
Vous pourrez découvrir de nombreuses autres petites sculptures à travers les stalles, qu’il faut regarder de près. Mais n’oubliez pas au cours de votre visite d’admirer l’église, imposante avec son clocher carré en bâtière et son large transept.
Pendant la saison estivale, l’église est ouverte tous les jours de 10 à 18 h.
Quelques kilomètres plus loin, une autre église, encore plus imposante, vous attend, celle de Cerisy-la-Forêt, ancienne abbaye bénédictine Saint-Vigor, vendue comme bien national à la Révolution en partie à un agriculteur qui a affecté les bâtiments à un usage agricole, ce qui a permis leur conservation.
L’église Saint-Vigor possède elle aussi un ensemble de stalles qui (selon un document d’archives aujourd’hui disparu) ont été posées en 1400, ce qui en fait un des ensembles les plus anciens de France (après les stalles de la collégiale d’Écouis, des cathédrales de Poitiers, d’Évreux, de l’église de Notre-Dame de la Roche à Lévis-Saint-Nom dans les Yvelines).
Elles ont également été réaménagées et mutilées mais ont conservé leurs hauts dossiers et le petit baldaquin qui protège les stalles hautes. Les jouées sont ornées d’arcs gothiques
alors que miséricordes et appuis-main ne portent pas de sculpture historiée, mais montrent une grande sobriété avec leurs feuilles étalées ou enroulées
sobriété qui correspond bien à la date proposée. Un siècle plus tard, le type de décor a bien changé, comme on a pu le voir sur les stalles de Saint-Fromond.
Le bois de chêne a été bien mis en valeur par les huchers qui ont su utiliser les mailles du bois pour donner sur les dossiers un effet de miroir, très décoratif dans sa simplicité
Cette abbaye est ouverte tous les jours en été. Pour plus de renseignements :